La Bréole - Ah la vache !
C'était après la guerre, j'arrivais à la Brèole pour les vacances de juillet, on avait réussi à me trouver une paire de godillots, qui d’ailleurs me faisaient mal, et que je supportais difficilement. Par une chance inespérée mon père avait trouvé également, un imperméable neuf, qui était à peu prés à ma taille, et je pourrai en profiter " à la campagne " comme il disait. Car on le sait, les gens des villes "font des chichis ", alors que les ruraux sont plus modestes et habitués à mettre des habits usagés , et on ne remarque pas la différence de taille d'un vêtement si celle ci n 'est pas flagrante. J'étais donc fier de posséder mes godillots et " mon imper " tout neuf, l’étrennant ainsi pour les vacances.
Deux jours s'étaient écoulés depuis que j'étais arrivé au pied du Bois, la grand mère Félicie m'avait trouvé de l'occupation pour la matinée; des pruneaux à couper en deux pour les faire sécher et à placer sur des "clayettes ", où ils passeraient quelques jours.
C'était un travail qui n'était pas pénible, mais pas très amusant aussi lorsque le voisin me voyant un peu dépité me proposa d'aller garder les vaches avec ses neveux, je demandais immédiatement l'autorisation de Félicie pour rejoindre les "vachers " dans l'après-midi.
Vers 15 h, la sieste obligatoire terminée, je me mettais en route pour rejoindre Noriac, où Jeannot le neveu d'Arsenne, était en train de garder vaches.
Le temps était incertain , l'orage menaçait , et Félicie m'obligeât à prendre mon nouvel imperméable.
Je n'étais pas trop d'accord de prendre un "imper "neuf pour aller "garder", car mon père m'avait fortement recommandé dé faire très attention à ce vêtement, qui après guerre était une "denrée rare. Mais devant l'obstination de Félicie je plaçais " l'imper" dans ma musette avec le quatre heure qui m'était destiné.
Ainsi équipé, je partais pour Noriac en Chantant à tue tête, heureux de me trouver dans la nature et de rejoindre les copains.
Je trouvais Jeannot avec son troupeau, il fut très heureux lorsqu'il m'aperçut, car on se voyait seulement pendant les grandes vacances, et ça faisait déjà un an qu'on ne s'était rencontrés.
Un coin à l'ombre, et chacun se mit en frais pour conter sa vie, ses prouesses de l'année, ses amourettes, même si la dessus les garçons ne sont pas très bavards .
J'avais accroché ma musette à une branche d'un pin, assez haut pour que les chiens ne flairent pas le goûter. Et le temps passa, nous étions absorbés par nos contes, l'heure du goûter avait sonné, nos jeunes estomacs se mirent à crier famine. On devait ouvrir nos musettes respectives, mon copain commença par ouvrir la sienne, qui était à coté de nous, j'allais chercher la mienne laissée plus loin auprès du pin, et que j'avais oubliée. Et là, oh stupeur ! ma musette s'était évaporée.
Rapidement je pensais que Jeannot m'avait fait une "farce qui ne lui ressemblait guère ; les enfants des campagnes sont moins délurés que ceux des villes, et peu enclin à ce genre de plaisanterie. D'autre part nous ne nous étions pas quittés, et à part deux ou trois allez venues vers le troupeau il était toujours resté à coté de moi ; il fallait donc que je trouve un autre coupable.
J'allais rejoindre mon compagnon et devais passer devant le troupeau, c'est alors que je vis un spectacle qui nie figeât le sang dans les veines, ma musette gisait par terre, ouverte, déchiquetée , aux pieds d'une des vaches J'eus de la peine à la reconnaître. Alors que je m’apprêtais à la récupérer, je découvrais que l’imper tout neuf avait disparu , car à l'intérieur de ce qu'il restait de la dite musette, mon casse croûte avait piteuse mine et n ’était pas très ragoûtant.
J'essayais de reconstituer ce qui avait pu se passer, je savais que les coupables étaient bien les vaches du troupeau, elles seules avaient pu atteindre la musette qui était placée trop haut pour des chiens. J'en eu la confirmation lorsque j’aperçus sortant de la gueule d’une vache rousse et blanche , la manche de mon imperméable neuf. Cette sale bête était en train de finir "d’ingurgiter ” mon trésor.
Il me restait maintenant à affronter les foudres des parents lorsque j’allais leur annoncer la nouvelle . C'est à Félicie que j'annonçais la disparition de "l’imper", le soir venu, et là, je fus très surpris de sa réaction, lorsqu' 'elle me dit :
- ”Ton père ne va pas être content, mais que veux tu, c’est fait, tu ne peux pas dire à la vache de te le rendre, puis ce n’est pas la mort d’un homme".
C’est là que j’ai pu mesurer l'infinie sagesse de la grand mère ; je sus par la suite m'en rappeler dans les moments difficiles. Il faut relativiser les avatars de la vie.
"Ce n’est pas la mort d'un homme", cette maxime nous permet d'affronter la plupart des difficultés, que l'on croit être majeures et qui ne le sont pas.
Je me gardais bien de parler de l'imperméable dans mes lettres adressées aux parents, je serai toujours à temps de raconter ma mésaventure à la fin des vacances.
Je passais le reste des congés sans imperméable ; il faut dire qu'il ne pleut pas souvent à La Brèole....
Maurice