Auteur Maurice Nicollet

 

EXTRAIT DU LIVRE


LA DÉBÂCLE ou le pillage du train de Veynes 

 

En septembre 1943, Mussolini, allié des Allemands, disparaît de la scène politique. Son remplaçant, le général Badoglio reprenant le pouvoir, allait signer l’armistice avec les Américains et Anglais. Les Allemands, qui étaient jusqu’alors alliés avec les Italiens, considèrent à présent l’Italie comme une puissance ennemie. 

Les troupes cisalpines occupant notre territoire (en particulier les Alpes) se trouvent donc en fâcheuse posture. 

Les Italiens sont donc obligés de quitter notre pays, et c’est ici que se situe l’histoire du train de Veynes. 

Abandonné en gare de Veynes en septembre 1943,chargé de vivres et de munitions, il est resté en souffrance au dépôt après le départ précipité de ces troupes. 

La population de Veynes alors libre de ses agissements n’a eu qu’un objectif en tête, prendre la direction de la gare pour aller «visiter» le train resté à quai.

C’est donc à qui s’ingéniait au mieux pour découvrir et s’emparer de victuailles, vêtements et chaussures, pour les ramener chez eux à la maison. C’est ainsi qu’on vit une procession continue d’hommes, de femmes, de jeunes et de vieux, d’enfants de tout âge, chacun ramenant le produit de sa découverte. Il fallait voir cette foule bigarrée et hétéroclite, redoublant de vaillance, fourmis laborieuses transportant des sacs plus lourds qu’elles, ou poussant des charretons remplis de toutes sortes d’objets.

Le bon curé de Veynes n’en revenait pas ! Que ses ouailles, ses fidèles se conduisent comme de vulgaires pilleurs d’épaves. Cela dépassait son entendement.

Car c’était bien une épave que constituait maintenant ce train abandonné. Les wagons ouverts laissaient échapper les restes des cartons et caisses éventrés, les bonbonnes de vin qui fleuraient bon le Chianti ou le Valpolicella,à moitié vides, laissant échapper leur précieux contenu, étaient renversées sur les rails. 

Des chaussures dépareillées étaient là sur le ballast, des caisses de linge gisaient éventrées de chaque côté des voies. 

J’étais gamin à l’époque, mais je me souviens encore de ce spectacle de désolation. 

Lorsque je racontais ça à mon père, il me dit qu’il ne fallait pas me mêler de ces histoires-là, et qu’il y aurait certainement des représailles, aussi m’envoya t ’il en lieu sûr chez mon oncle à Rambaud.

Le surlendemain, j’avais donc rejoint Rambaud, en transit par GAP pour saluer mes grand parents. Mon oncle m’avait procuré un vélo pour rejoindre le village (situé à 4 kms et je ne savais pas encore ce qui m’attendait, tout au long de ce voyage. Mais ce que je n’ignorais pas, c’est que la route serait longue et pénible, surtout  pour les mollets d’un gosse de 8 ans. 

Les tournants qui arrivent au village furent gravis dans la sueur, il faisait encore chaud par cet après-midi d’automne, le temps était orageux. On avait mis pied à terre depuis quelques temps,  mon oncle qui m’escortait, m’encourageait par «des allez courage, on y est bientôt».

Lorsque tout à coup, au détour d’un chemin, nous fumes surpris de trouver à l’ombre sous un pin un soldat italien allongé sur le ventre, immobile, sans vie apparente. On pensa alors qu’il était mort, tué par des maquisards. 

J’avais souvent entendu parler du maquis et de ses hommes, sans jamais les avoir vus.

On me les avait toujours décrits comme des hommes de l’ombre, des héros qui se battaient pour la France. Aussi, je ne croyais pas qu’ils puissent tuer, et dans mon esprit d’enfant ils étaient plutôt sympathiques. 

Je pensais donc à tout ça quand nous approchions du mort. Lorsque tout à coup notre mort se levant, d ‘un bond fut sur pieds, Il nous gratifia d’un bongiorno tonitruant, que Caruso, son compatriote, n’aurait pas désavoué. La force de la voix de cet homme, son registre de baryton, pouvait le faire entendre à des lieux à la ronde et aurait pu le faire admettre comme accompagnateur et duettiste du célèbre chanteur. Voyant que le mort était bien vivant, mon oncle qui comprenait un peu l'Italien, entreprit une conversation en patois avec lui, il sut que notre ténor de soldat venait de la garnison de Veynes, qu’il avait donc abandonné armes et bagages.

Je me gardais bien de dire que j’avais participé au pillage de son train, mais  je lui en étais profondément reconnaissant de l’avoir abandonné en gare de Veynes.

Mon oncle hébergeât pendant quelques jours ce soldat, lui  offrant le gîte et le couvert, avant qu’il retrouve ses contrées Piémontaises, où il était natif. Pendant les jours qui suivirent ce fut un défilé incessant de soldats à la "piuma al capelo", de la cavalerie légère, dotés de mulets qu’ils abandonnaient en cours de route faute de trouver de l’avoine pour pouvoir les nourrir.

Cette armée italienne en déroute, cédait la place à l'armée allemande qui allait les remplacer dans leur rôle d’occupants.

Mais cette armée là, n'aurait pas la même attitude envers la population, elle allait semer la misère et le deuil dans notre pays.

Les jeunes devant servir dans le STO, (sto=service de travail obligatoire) devraient à leur tour prendre le maquis.

Les maquisards, alors de plus en plus nombreux, constitueraient les principales forces de résistance face à l’occupant, et fourniraient ainsi le gros du contingent des FFI  (forces françaises de l'intérieur) qui participeront par la suite à la libération de  la France.

 

Voilà le récit du pillage du train de Veynes